Moment bonheur
Je connaissais personnellement Claude et Jeanine, qui ont toutes les deux leur mari au centre médical les Granges, mais qui n’avaient jamais échangé vraiment. Comme je trouvais cette situation regrettable, j’ai pensé les réunir autour d’une table sans oublier Achouaï qui, malgré sa jeunesse vivait le même drame.
J’ai voulu que ce moment-là soit une vraie fête rien que pour nous quatre ; alors, il fallait que la table soit jolie et le repas raffiné. J’ai donc orné la table avec des perles bleues qui brillaient et des bougies que nous avons allumées ensemble ultérieurement.
Pour l’apéro, j’ai préparé moi-même des petits feuilletés et ramassé des tomates cerise dans mon jardin. En entrée, j’ai piqué une recette à ma cousinette Nicole : le pain au caviar d’aubergines.
Il faut que je vous parle de Nicole, car elle est une femme remarquable, un exemple. Une rétinite pigmentaire l’a privée progressivement de la vue, et pourtant c’est une femme radieuse. Au lieu de se laisser aller, elle est devenue masseur-kinésithérapeute au service des autres. Elle est toujours très bien habillée sachant marier parfaitement les couleurs et les matières, comme elle est belle aussi à l’intérieur elle ne vieillit pas, sa maison est décorée superbement, elle adore cuisiner et sait raconter des blagues coquines comme personne ! Dans ta nuit, ma cousinette, tu perçois ce que les autres ne voient même pas.
J’ai fait aussi des aumônières aux deux saumons, une petite création personnelle, et en dessert un bavarois aux framboises, une délicieuse recette de mon amie Catherine.
Ce jour-là, il faisait très beau et quand elles sont arrivées toutes souriantes, c’était déjà du bonheur !
De suite, la communication entre nous a été parfaite sans ces barrières conventionnelles, sans ces protections ridicules que nous nous fabriquons pour nous défendre des autres. Nous, nous étions pareilles et nous nous comprenions 5 sur 5 ; alors nous avons beaucoup parlé, en toute liberté, nous avons ri, nous avons pleuré, alors nous avons bu, et nous avons ri encore ! Nous nous sommes dit tout ce que nous avions sur le cœur, toutes ces choses que nous avions mal vécues depuis le début de la maladie de nos maris, ces choses dont nous ne pouvons pas parler au personnel médical de peur de blesser, de fâcher…Nous nous sommes un peu libérées !
Nous nous rappellerons longtemps de ce moment-là où un serment spontané de solidarité s’est signé et nous lie.
J’ai atteint mes objectifs car je sais maintenant, qu’elles se sentiront moins seules et quand elles se croiseront dans les couloirs du centre médical, leurs paroles, même brèves, seront sincères et les regards qu’elles échangeront, ne seront plus jamais les mêmes.